Football et manga, l’appel du ballon : de Captain Tsubasa à Blue Lock
Quels liens unissent les valeurs footballistiques et nippones ? Quels titres manga majeurs jalonnent ce parcours long de quarante ans ? Le football est un sport collectif riche en vertus et qui s’est imposé au Japon au fil du temps, sur les terrains, mais aussi dans les mangathèques. Otaku Manga refait le match ! Cet article a été publié dans le n°1 du magazine Otaku Manga.
Coup d’envoi
Depuis les premiers matches professionnels dans les années 1920, le baseball s’était imposé comme le sport collectif le plus populaire au Japon. L’archipel échappe donc à la football mania qui conquiert le globe avec la première Coupe du Monde disputée en 1930, et les mangas sportifs pour adolescents se consacrent presque exclusivement au baseball. Parmi ces séries, des œuvres culte comme Kyôjin no Hoshi ou Dokaben impressionnent le jeune Yôichi Takahashi, qui se passionne autant pour le baseball que pour le dessin. Tout bascule en 1978. À 18 ans, Takahashi réalise l’engouement que procure le football en suivant le parcours de l’équipe d’Argentine, qui remporte la Coupe du Monde se déroulant dans son pays. Deux ans plus tard, au lieu de proposer un énième titre sur le baseball dans un
marché saturé, il contacte l’éditeur Shûeisha avec un projet original : le premier manga consacré au football !
Cette discipline s’associe parfaitement aux codes du manga d’action, grâce à des phases de jeu plus longues que le baseball, nécessitant une stratégie et une entente entre les joueurs. L’esprit collectif est en effet au cœur de Captain Tsubasa, dont les personnages sont prêts à tout pour faire gagner leur équipe. Le manga, puis son adaptation animée (arrivée en France sous le titre Olive & Tom), motive les petits Japonais à s’initier à ce nouveau sport, au point que les clubs de football sont débordés ! À défaut de pouvoir réaliser les performances surhumaines de Tsubasa Aozora et de ses camarades (saut périlleux depuis la barre transversale, tirs qui déchirent les filets…), ces enfants incarnent la première génération de footballeurs nippons.
Le savais ‑tu ?
En 2012, l’auteur de Captain Tsubasa, Yôichi Takahashi, est devenu président d’un club de football professionnel de Tokyo… qu’il a renommé d’après le nom d’une équipe de son manga, le Nankatsu SC !
Sortir de la réserve
La force de Captain Tsubasa réside dans l’introduction d’un sport jusqu’ici confidentiel auprès du grand public… mais c’est également sa plus grande faiblesse. En dehors du football, rien ne semble exister pour ses héros ! Plutôt que suivre la voie ouverte par ce manga pionnier, d’autres séries choisissent d’associer au football des thématiques plus humaines.
Ainsi, pour son manga Ganbare ! Kickers, publié entre 1985 et 1989, Noriaki Nagai ne met pas en scène des futurs professionnels aux ambitions mondiales, mais juste une bande de gamins malhabiles qui enchaînent les défaites avant l’arrivée d’un meneur de jeu aussi talentueux que fédérateur. L’adaptation animée, connue en France sous le titre But pour Rudy, se consacre donc autant aux relations entre les enfants en dehors du terrain que durant les matches, qui ne se soldent pas toujours par une victoire !
Cette nouvelle stratégie se confirme en 1992, avec la production de deux séries animées qui optent pour le réalisme, dans la représentation du football comme dans le parcours des personnages.
Ainsi, dans Graine de champion, le héros, Thierry, vit sa passion pour le football malgré l’interdiction de son grand-père : ce conflit familial ne donne que plus d’enjeu aux matches où Thierry affronte des adversaires inspirés par des vrais joueurs des années 80 et 90. Dans la coproduction franco nippone L’école des champions, en revanche, c’est l’histoire d’amour entre le héros Benjamin et l’apprentie-danseuse Catherine, sœur du capitaine de la meilleure équipe de la ville, qui apporte une dimension supplémentaire aux défis sportifs !
La cour des grands
Puisque le football est une discipline courante au Japon, d’autres auteurs s’en servent comme support pour mieux développer des thèmes sociétaux. La réinsertion est ainsi au cœur d’Angel Voice : dans le lycée Razan, où des délinquants ont fait la main basse sur la salle d’entraînement de football, un nouveau professeur décide de monter une équipe en regroupant les quatre pires voyous de l’établissement. Grâce aux valeurs de ce sport collectif, ils apprennent à résoudre leurs problèmes autrement que par la violence.
1998 est une année cruciale pour le Japon : pour la première fois de son histoire, son équipe nationale parvient à la phase finale de la Coupe du Monde… même si elle ne passe pas les poules. C’est après avoir co-organisé la Coupe du Monde 2002 avec la Corée que le Japon entre définitivement dans la cour des grands du football. La discipline est désormais si bien intégrée dans les mœurs qu’un jeu vidéo finit par être développé sur ce thème. Pas une simulation sportive, mais un RPG dans la pure tradition japonaise ! Dès sa sortie en 2008, Inazuma Eleven est également décliné en manga et en série animée, pour mieux divertir les enfants à travers le monde.
Le savais-tu ?
Le footballeur professionnel en activité le plus âgé au monde est japonais ! Kazuyoshi Miura, véritable star, continue de jouer à 55 ans cette saison, et détient le record mondial du plus vieux buteur en ayant mis le ballon dans les filets en 2017, à 50 ans !
De son côté, Naoshi Arakawa publie Sayonara Football en 2009, un titre consacré au football féminin. Car, là où les hommes ont échoué, les joueuses de l’équipe nationale japonaise remportent le titre mondial en 2011, rappelant que ce sport n’est pas réservé qu’aux garçons ! Quatre ans plus tard, leur titre de vice-championnes du monde incite le mangaka à rempiler pour une suite, Farewell my dear cramer, dont l’adaptation animée a ravi un public féminin comme masculin en 2021.
Le savais-tu ?
En japonais, nadeshiko désigne un œillet mais aussi le concept de jeune fille japonaise idéale. C’est également le nom de l’équipe nationale de football féminine ! Sa capitaine en 2011, Sawa Homare, a même eu droit à un manga en son honneur, dessiné par… Yôichi Takahashi, l’auteur de Captain Tsubasa !
Qui a dit que les filles ne pouvaient pas jouer au footbal ?
FFF : Fédération du Football du Futur
Quarante ans après la Coupe du Monde d’Argentine qui avait fait naître l’idée chez son auteur, Captain Tsubasa fait un double retour au Japon, avec une nouvelle adaptation animée et une réinterprétation en manga destinée à un public enfantin, Captain Tsubasa Kids Dream. Pourtant, dans cet intervalle, la perception japonaise du football a considérablement changé, comme le prouvent les deux séries à succès consacrées aujourd’hui à cette discipline… sous deux angles radicalement opposés.
Depuis 2015, Ao Ashi dévoile au lecteur les rouages du football. Grâce à son postulat de départ peu original (un adolescent de quinze ans aussi talentueux qu’impulsif est repéré par un entraîneur qui l’envoie tenter une sélection professionnelle), il permet de faire comprendre les stratégies au sein d’une équipe, les implications de chaque poste, et surtout l’évolution du jeu tout au long d’un match. Car, comme l’indique son sous-titre Playmaker, son héros Aoi doit abandonner ses ambitions d’attaquant pour assumer la responsabilité finalement bien plus lourde de meneur de jeu.
À l’inverse, seule l’attaque prime dans Blue Lock, qui fusionne football et battle royale. Afin d’enfin trouver la perle rare, l’attaquant ultime qui permettrait à l’équipe du Japon de décrocher la Coupe du Monde, 300 joueurs sont emprisonnés dans un tournoi sans pitié pour obtenir cette place. Cette fois-ci, le football n’est plus qu’un prétexte pour justifier des affrontements intenses qui laissent de côté toutes les valeurs de ce sport, à commencer par l’esprit collectif. Mais, en trahissant ainsi un héritage de quatre décennies, Blue Lock ouvre à son tour la voie à une nouvelle appropriation du football par le manga, qui promet de belles surprises à venir pour le futur !
