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À la rencontre de Moto Hagio

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Moto Hagio est une célèbre mangaka japonaise, notamment connue grâce à son manga Le Clan des Poe. En janvier, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême lui a rendu un hommage. Lors d’une masterclass, avec d’autres journalistes, Matthieu Pinon, rédacteur en chef d’Otaku Manga, a pu discuter avec elle. Moto Hagio fait partie des premières dessinatrices de shôjo mais elle a su se diversifier durant sa carrière. Comment a‑t-elle fait ? Pourquoi a‑t-elle décidé de changer les stéréotypes du genre ?

Voici une retranscription écrite de cette masterclass.

Moto Hagio

Toute l’exposition explique que pendant votre carrière, vous allez chercher à vous réinventer. Notamment à apporter de la maturité pour le shôjo. Est-ce que lorsque vous avez débuté dans le shôjo , vous cherchiez d’abord à divertir les jeunes filles ou aviez-vous déjà cette envie d’apporter de la maturité dans ce registre ?

Moto Hagio : La personne qui a permis au manga d’être connue du grand public, c’est Osamu Tezuka bien que d’autres auteurs l’aient précédée. C’est mon avis personnel mais je pense qu’au Japon, la personne qui a donné au manga cette forme contemporaine, c’est Osamu Tezuka.

À la fin de la guerre, après la défaite du Japon, il n’y avait plus de divertissement et le pays était ruiné. Les enfants ou les adultes, tout le monde lisait Osamu Tezuka, ses œuvres ont connu un succès énorme.

À l’époque, il y avait deux types de mangas et la séparation entre ces deux récits était très nette. Il y avait des mangas qui s’adressaient aux enfants et au contraire des mangas pour adultes qui contenaient plus de caricature érotique. Moi, j’ai grandi en lisant les mangas de Osamu Tesuka et de ses pairs. J’ai lu des œuvres comme Astro boy mais aussi des mangas avec une dimension plus historique comme le Phénix : l’Oiseau de feu qui aborde la vie humaine. J’ai grandi en me nourrissant de façon très naturelle de ses mangas.

Dans mon cas, je n’ai jamais eu l’impression de dessiner un autre type de manga que les mangas qui m’avaient nourri dans mon enfance. Mais comme j’étais publié dans les magazines, on avait des retours éditoriaux pour nous dire si notre histoire devait être modifiée et simplifiée ou au contraire si elle était bonne telle qu’elle l’était. Mes dessins n’ont jamais changé, c’est surtout les magazines qui ont évolué.

Vous avez travaillé pour plusieurs maisons d’édition et dans des magazines très différents. Est-ce qu’il y a eu des sujets ou des thématiques tabous ou interdits ? Est-ce qu’on vous a déjà indiqué que les histoires étaient trop risquées ? Y a‑t-il eu une forme de censure ?

Moto Hagio : J’ai débuté ma carrière chez Kôdansha, un grand éditeur dans le magazine Nakayoshi. Quand j’envoyais mes crayonnés, les ébauches de mes mangas, on me disait que ça n’était pas adapté à des écoliers/écolières de primaire.
À l’époque, j’avais l’impression de dessiner des histoires tout à fait correctes pour les enfants d’école primaire. Mais en les relisant, je me suis rendu compte que non. Par exemple, dans l’une de mes histoires, une enfant de 5 ans tue sa mère et je me suis dit effectivement oui, peut être que le l’éditeur avait raison de refuser. (rires)

On me demandait de dessiner des histoires beaucoup plus joyeuses. On refusait mes histoires à plusieurs reprises alors je me suis très vite senti à l’étroit chez Kôdansha. C’est une personne qui s’appelle Monsieur Yamamoto qui m’a présenté aux éditeurs de Shôgakukan. J’ai eu une chance inouïe de rencontrer ce monsieur parce que depuis que je suis à Shôgakukan, je dessine exactement ce que je veux.

Vous avez fait beaucoup d’incursions dans des genres très différents, bien qu’on vous considère comme une figure de proue du shôjo. Vous considérez-vous ainsi vous-même ? Qu’est-ce qu’un shôjo pour vous ?

Moto Hagio : J’ai commencé en tant qu’autrice de shôjo. Et même si parfois les mangas que j’ai dessinés s’adressaient à un public plus âgé, je me présente comme une autrice de shôjo ou comme une simple mangaka.

Une fois, un critique anglais m’a demandé pourquoi les bandes dessinées japonaises étaient séparées en bande dessinée et pour jeunes garçons. Et même aujourd’hui, je continue à y penser et à chercher une réponse. En France, j’ai découvert qu’il n’y avait pas cette séparation dans la bande dessinée. Il y en a peut-être certains qui s’adressent à un public masculin et d’autre féminin mais ils ne sont pas destinés à un genre précis. Avec le temps j’ai eu des retours très positifs de la part des critiques masculins sur mes mangas. Ils me félicitaient en me disant que mes mangas n’étaient pas des shôjo. J’ai trouvé ça très étonnant parce que pour moi je suis une autrice de shôjo et je ne dessine rien d’autre. La plupart des critiques masculins ne savent pas lire les shôjo. Ils sont plus habitués à lire des shōnen ou des mangas qui s’adressent à un public plus âgé. Je pense qu’ils m’ont dit que mes mangas n’étaient pas des shôjo parce qu’ils avaient pu les lire. Moi au contraire je voulais qu’ils les lisent en se disant “Ah c’est du shôjo, j’arrive à le lire et ça me plait” mais malheureusement ce n’est pas ce qui s’est passé.

De temps en temps, je reçois du courrier de lecteurs masculin qui me disent qu’ils aimeraient bien lire le shôjo mais qui n’osent pas le demander en librairie. Ils se créent un alibi, en achetant des shônen ou des manuels scolaires, ils ajoutent un de mes récits et disent que c’est leur petite sœur qui l’a demandé au moment de passer en caisse. Apparemment c’est encore quelque chose d’un peu honteux au point d’avoir besoin de courage pour en acheter. Je ne sais toujours pas pourquoi d’ailleurs. (rires)

Quand j’étais petite, mes amis filles et garçons me demandaient pourquoi je lisais des mangas de shônen. Les époques ont changé et maintenant les jeunes filles se sont mises à lire du shônen manga. Mais pour les garçons, il leur faut encore du courage pour aller acheter du shôjo. C’est cette culture de séparation entre les genres que je ne comprends pas mais qui est très ancrée au Japon. Mais néanmoins c’est un phénomène intéressant à observer.

Lorsque vous débutez votre carrière à la fin des années 1960, le magazine Garo était déjà réputé pour publier des œuvres qui n’ont pas trouvé leur place dans d’autres magazines grand public. Pourquoi aucune de vos œuvres n’y ont été publiées ? Est-ce que vous étiez intéressée par le magazine les avez-vous approchés à un moment ou un autre ?

Moto Hagio : Lorsque j’étais au collège, il y avait encore des librairies de prêt, des kashihon. Il se trouve que Garo y était disponible à la location. L’histoire principale du magazine, c’était Kamui Den, l’œuvre de Sanpei Shirato. J’en ai lu un épisode quand j’étais au collège mais je trouvais les scènes de combat et la violence un peu trop forte. Et pendant longtemps je ne me suis plus intéressée à Garo. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais eu envie de dessiner pour ce magazine.

Moto Hagio manga
Dans plusieurs de vos mangas, on retrouve la barrière entre les genres et entre les sexualités. Ce sont des sujets qui paraissaient plus communs aujourd’hui. Quand vous proposiez ces concepts dans vos histoires, y avait-il une bienveillance de la part de vos éditeurs et de vos lectrices ?

Moto Hagio : Oui évidemment, Il y a eu une certaine bienveillance de la part d’un éditeur important pour moi, Junya Yamamoto. Par contre il ne me l’a jamais dit directement ! Je l’entendais par les sources détournées notamment qu’il appréciait beaucoup mes œuvres. Il paraît que les autres éditeurs lui faisaient beaucoup de retours à mon sujet, étant donné que j’étais en queue de file dans les sondages de popularité des magazines. On lui demandait souvent pourquoi il ne se débarrassait pas de moi. Mais je ne l’ai su que bien plus tard par d’autres sources.

Vous expliquiez l’apport de Tezuka Osamu dans le développement du manga. En 1959, les premiers magazines hebdomadaires shônen sont apparus avec notamment Shônen Sunday. En 1968, quand le Shônen jump arrive à son tour, La revue fait des enquêtes auprès des jeunes garçons. Trois valeurs classiques sont revenues : le courage, l’amitié et la victoire qu’on va désormais retrouver dans tous les titres. Le shônen commence à s’uniformiser à partir des années 70 et 80, une uniformisation encore présente aujourd’hui.

À cette époque, avec d’autres autrices, vous avez voulu ouvrir le spectre du shôjo à tous les genres et à tous les thèmes. Aujourd’hui, avec vos 50 ans de carrière, vous pensez que l’industrie du shôjo est beaucoup plus florissante et diversifiée que celle du shônen ?

Moto Hagio : À l’époque, tous les éditeurs se demandaient comment créer un nouveau média adapté au lectorat. À partir de 1968, on entre dans une période où les baby-boomers passent au lycée. Dans beaucoup de rédaction, on s’est dit que c’était le moment d’ajouter des œuvres qui parlaient de romances, d’amour ou de sexe. Pendant à peu près un an, Kôdansha a proposé des histoires dans lesquelles la petite amie du héros pouvait tomber enceinte ou une jeune fille qui pouvait se montrer très tentatrice envers les hommes. Ça avait fait un peu parler et un peu jaser à l’époque mais ce type de récit n’a pas trouvé son public. Le lectorat cherchait quelque chose de plus simple, dont les valeurs que vous avez évoquées. C’est pourquoi le Jump publie, encore aujourd’hui, des récits initiatiques. C’est pour ça que même en ayant la trentaine ou la quarantaine les hommes continuent de lire ça car ils éprouvent un peu de nostalgie de leur jeunesse. A mon avis c’est comme ça que le shônen a évolué.

Dans le cas du shôjo manga, il y a surtout des histoires d’amour et de sentiment mais ça ne va jamais jusqu’à l’étape parentalité. Ces histoires aux relations plus concrètes sont destinées à un autre lectorat dans des magazines pour des femmes plus âgées. Et même dans ces revues aux histoires à connotation plus sexuelles, les lectrices demandaient des histoires de famille. Le shôjo manga contient plein d’univers différents, mon œuvre en est représentative.
Il existe plusieurs types de récit dans le shôjo, par exemple le récit classique dans lequel l’héroïne rencontrera la bonne personne avec qui fonder une famille. Et au contraire des récits d’aventures. L’œuvre qui a fédéré toutes les filles du japon c’est La Rose de Versailles. C’est l’histoire de Oscar à l’époque de Marie-Antoinette, toutes les jeunes filles au Japon étaient amoureuses d’Oscar, une héroïne habillée en homme. Si bien que la troupe féminine de théâtre Takarazuka, au moment de répartir les rôles, toutes les comédiennes souhaitent avoir le rôle d’Oscar parce que c’est un personnage qui représente la liberté. Je pense que si y a une chose commune à tous les Shojo, c’est cette volonté de liberté.

Vous avez évoqué Osamu Tezuka comme déclencheur de votre vocation. Est-ce que des illustrateurs, des peintres ont eu une influence esthétique sur votre dessin ?

Moto Hagio : Y’en a énormément je ne sais pas par où commencer. À l’époque où j’étudiais la mode, j’ai découvert l’art pictural occidental. À partir du 19e siècle, la peinture change drastiquement. L’arrivée des impressionnistes en France a révolutionné la peinture. J’étais très étonnée de voir ce type d’art comme Pablo Picasso. Lorsque je me suis rendu au musée Picasso à Barcelone qui expose toute ses œuvres de ce qu’il dessinait à l’école primaire jusqu’à la fin de sa carrière. On voit donc l’évolution de son trait et de sa peinture en fonction de l’époque mais aussi en fonction de sa vie personnelle (mariages et divorces). Ça m’a fait réaliser que pendant la durée d’une vie humaine il y a beaucoup de changement et de différence artistique.

Il y a aussi Rembrandt dont l’un de ses tableaux est un vrai jeu de perspectives avec les personnages au premier plan, les miroirs et les cadrages. La première fois que j’ai vu ce tableau, je ne l’ai pas compris. Picasso a été très influencé par ce peintre, au point de réutiliser la structure de ses tableaux et de créer des variations personnelles. C’est grâce à l’interprétation de Picasso que j’ai pu comprendre et apprécier les œuvres de Rembrandt.

J’apprécie beaucoup les illustrateurs et les graveurs anglais. Au 19e siècle, il y a une tradition de caricaturistes en Angleterre. Ce sont des illustrations que j’apprécie beaucoup pour la délicatesse de la représentation des vêtements, par exemple les courbes de jupes ou la façon dont les chaussures sont nouées. Ces gravures donnent ce sentiment mignon sur des œuvres très plaisantes à observer. Malheureusement, je n’ai pas de nom d’artistes à vous donner.

Planche


Vous avez l’habitude des compositions de planche très intéressantes, avec beaucoup de motifs autour des personnages qui représentent leurs psychés. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous arrivez à créer ces motifs ?

Moto Hagio : Avant de dessiner une planche, j’ai la scène en tête. Je vois mes personnages évoluer comme sur un écran. Ils commencent à se parler et en les observant dès que j’ai un plan qui me correspond je prends le crayon pour la première fois. Je fais tout mon possible pour dessiner exactement l’image que j’ai en tête avec le plus de précisions. C’est un peu comme si j’essayais de retranscrire un rêve. Au fur et à mesure du dessin, le plan devient de plus en plus clair pour moi. Une fois que j’ai terminé mon dessin, je le compare à l’original et je fais des arrangements. C’est à ce moment que je rajoute ces motifs. Si l’œuvre est plus claire dans ma tête, alors je fais les ajustements nécessaires, car il est très difficile de retranscrire ces images qui sont presque des rêves. Mais c’est un processus galvanisant et motivant qui me plaît beaucoup. Quand j’obtiens une belle image, je suis en joie.

Pour rebondir sur cette question, pour parler de ce type de composition on peut dire qu’elles ont quelque chose de cinématographique. Est-ce que le cinéma a impacté votre art et votre narration ?

Moto Hagio : Je pense que j’ai certainement aussi été influencé par le cinéma. Je me souviens avoir vu à la télévision le film : Le troisième homme. Dans ce film, j’ai trouvé les contrastes de noir et blanc absolument magnifique, tout comme le découpage très esthétique et très harmonieux de chaque scène. Même les objets ou les lieux du quotidien pouvaient être sublimés.

La scène finale de ce film se passe dans un cimetière. Un personnage féminin arrive au loin, se rapproche et croise un personnage masculin qui la dépasse. La mise en scène de ce moment où cet homme qui dépasse la jeune femme sans s’arrêter. Et la façon dont cette dernière l’a regardé partir j’ai trouvé ça incroyable.
Le personnage féminin se dirige vers le spectateur et dépasse à son tour l’homme sans dire un mot. Mais il n’y a pas besoin de texte pour comprendre ce que cette scène exprime. Simplement avec le décor et la position des personnages et j’ai trouvé ça incroyable, ça m’a beaucoup marqué et influencé.

Lors de votre masterclass, vous avez évoqué avec beaucoup de respect Madame Keiko Takemiya. Est-ce que c’était quelqu’un avec qui vous avez fait évoluer votre dessin ? Êtes-vous toujours amies aujourd’hui ?

Moto Hagio : J’ai vécu effectivement en colocation deux ans avec elle. Nous étions toutes les deux mangakas professionnelles. Elle avait beaucoup plus de travail que moi alors je l’aidais en gommant ses crayonnés, en dessinant les décors ou en peignant les aplats de noir.
Au tout début de ma carrière, on me reprochait de faire des histoires trop sombres mais ce n’est pas du tout le cas de Madame Takemiya. J’ai été très envieuse et très admirative d’elle et du fait qu’elle puisse être capable de dessiner des histoires plus joyeuses que les miennes. J’admirais son travail mais on avait un style tellement différent que je n’ai pas réussi à me rapprocher de son trait.

Cette édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême vous accueille vous et Shin’ichi Sakamoto. Vous êtes deux auteurs qui revisitent la figure du vampire, vous avec Le Clan des Poe et Monsieur Sakamoto avec #DRCL midnight children. Quel rapport entretenez-vous avec le récit vampirique et avez-vous eu l’occasion de lire le manga de Sakamoto ?

Moto Hagio : Au Japon, le récit vampirique est une figure très populaire de l’épouvante. Donc, dans les mangas que j’ai lu en grandissant, il y avait souvent des vampires. Il s’agissait pour la plupart d’adaptations de romans, mais je trouvais ça tellement effrayant, au point que je me débrouillais pour sceller les pages qui montraient des vampires dans les magazines, pour ne pas avoir à les croiser quand je lisais. Imaginez-vous en tant qu’enfant, quelqu’un frappe à la fenêtre, et vous voyez un vampire. Cette idée me terrorisait ! (rires)

À 20 ans, j’ai eu un personnage de vampire en tête. Pour le créer, je me suis mise à visionner des films de vampires, ceux qui présentent des personnages aux yeux noircis et aux longues canines dégoulinantes de sang. À l’époque je me suis dit que je serai incapable de dessiner un truc aussi effrayant. À ce moment-là je me suis souvenu d’un manga dans lequel la figure de vampire était très belle. Il s’agit de Kiri mo to Bara to Hoshi to / La brume, la rose et les étoiles de Shôtarô Oshinomori, que j’ai lu quand j’étais en école primaire. C’est une histoire avec des dessins très lyrique, avec des roses, le vent qui souffle… Une histoire d’amour triste entre un vampire et un humain qui ne se concrétise pas. C’est en me souvenant de cette histoire que je me suis sentie capable de dessiner une histoire de ce genre et c’est ça qui fait la genèse de Clan de Poe.

Concernant #DRCL midnight children, les premiers chapitres sont terrifiants. (rires) L’histoire débute dans la cale d’un bateau lors d’une tempête. Je feuilletais les pages en ayant peur que quelque chose ne surgisse. Cependant les personnages sont des jeunes élèves plutôt mignons. Les dessins de M. Sakamoto, sont magnifiques et c’est grâce à la qualité de son trait qui m’a permis de passer au-delà de ma terreur pour les vampires. Le pouvoir de son trait était très impressionnant.

Hier, je me suis rendu à l’exposition #DRCL qui se tient dans une chapelle. Le lieu était juste exceptionnel. C’est une expérience son et lumière avec projections des planches de manga sur les murs et au plafond. L’exposition dure moins de dix minutes mais je suis ressortie émue comme si j’avais vu un film entier. La puissance de son trait et de ses compositions, combinée au lieu constituait une fusion parfaite. C’est un auteur formidable.

Le clan des Poe - Moto Hagio

Est-ce qu’il y a des shojo récent que vous avez appréciés ou qui vous ont marqué ?

Moto Hagio : J’en ai plusieurs. (rires)
Il y a d’abord Le Pavillon des Hommes de Fumi Yoshinaga, dont la publication s’est terminée il y a quelque temps. C’est une histoire de Science fiction autour de familles de nobles à l’époque Edo. Dans cette histoire, la société compte de moins en moins d’hommes, et ce sont les femmes qui deviennent des cheffes de guerre. On y découvre comment les femmes prennent la place des hommes, génération après génération. Le manga a été adapté en feuilleton, en série téléviséeui est une très bonne adaptation.

Il y a aussi Tamaki to Amane de la même autrice. Il faut savoir que ces deux prénoms sont utilisables pour les filles et pour les garçons au Japon. Les deux histoires sont des one shot. Les deux personnages portent ces noms ce sont parfois deux hommes, deux femmes, ou un homme et une femme. Les époques varient, puisque les récits se déroulent à l’époque Meiji ou durant la guerre. C’est une œuvre avec beaucoup d’idées et d’invention que j’ai trouvé intéressante.

J’ai aussi lu Gintarô-san wo Tanomimôsu d’Akiko Higashimura. C’est l’histoire d’une jeune femme qui travaille dans une maison de thé et qui sert l’alcool aux hommes. Dans ces établissements, les femmes se voient attribuer des noms masculins, et celui de l’héroïne est Gintarô. Une jeune fille fait sa rencontre et apprend d’elle comment se vêtir d’un kimono et réalise à quel point c’est un vêtement passionnant. Comme vous le savez, il s’agit d’un vêtement traditionnel au Japon. Néanmoins, très peu de personnes en portent, aujourd’hui, mis à part les passionnés et lors d’occasions spéciales comme les festivals, les mariages ou des cérémonies de fin d’études. Mais à l’époque de ma mère, c’était un vêtement du quotidien.
Les épisodes de la série sont indépendants, ils ne se suivent pas. Les titres des chapitres sont des noms de motifs de kimonos traditionnels. C’est une œuvre qui décline des sujets liés aux kimonos que j’ai trouvé passionnante.

Allez, j’en donne une dernière (rires)
Don’t Call It Mystery de Yumi Tamura. C’est l’histoire de Totono, un garçon qui se fait passer pour un criminel pour entrer en lien avec la police afin de résoudre des affaires. Il n’est ni inspecteur ni policier, c’est un simple étudiant. J’ai trouvé très intéressante la manière dont les personnages voient le monde. Ils ont des avis très tranchés, mais ne vont pas l’imposer aux autres.

L’autre personnage de Totono a tendance à souvent donner son avis. Et comme il a les mêmes opinions que moi, je suis entré en résonance avec lui, je l’ai trouvé fascinant. Dans une société, vous avez ce qu’on appelle le sens commun, et il y a une minorité de personnes dont on ne veut pas écouter l’avis et elle est exclue. Totono est ce type d’individus un peu marginal qui essaye de donner son avis. À côté de lui, il y a le personnage d’une jeune policière entourée d’hommes, Furomitsu. Elle se fait presque harceler par ses collègues et ne parvient pas à être considérée à leur niveau, même en donnant tout ce qu’elle peut. Totono va la rassurer sur le fait qu’en tant que seule femme du commissariat, sa présence est importante, car un groupe d’hommes sans femme aura tendance à commettre de mauvaises actions. Elle n’a donc pas à se mettre à leur niveau et à faire comme eux. Il y a beaucoup d’histoires actuelles que j’aime, mais je vais m’arrêter là. (rires)

Plus tôt, vous avez évoqué La Rose de Versailles. Madame Riyoko Ikeda a mis de côté sa carrière de mangaka pour devenir une cantatrice de soprano, son autre passion. Vous-même, avez-vous une passion hors du manga pour vous aérer l’esprit ? À supposer que nous n’ayez pas lancé votre carrière de mangaka, quel métier auriez-vous fait ?

Moto Hagio : À part les mangas, j’aime voyager, regarder des films, lire des romans, écouter de la musique et élever mes chats (rires) . Si je n’avais pas pu devenir mangaka, je pense que j’aurais été assistante. Ou alors, comme j’ai appris la couture dans une école spécialisée, j’aurais peut-être été couturière ou costumière.

Photos : Matthieu Pinon.
Retranscription : Perrine Nicolas.

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