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Les mangas et les chats : pourquoi une telle histoire d’amour ?

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De tous les animaux de compagnie, le chat se taille la part du roi dans la production de mangas et d’anime au Japon. Mais pourquoi sont-ils si populaires ? Est-ce dû à leur caractère imprévisible ? Ou bien ont-ils un rapport plus ancien à la culture nippone ? Si tu donnes ta langue au chat, Otaku Manga est là pour répondre à ces questions !

Un article publié dans le numéro 4 du magazine Otaku Manga.

Mi-propice, mi-maléfique, mi-aou !

Si tu possèdes un chat, tu sais que cet animal aime venir réclamer des câlins et montrer de l’affection… mais qu’il peut aussi te snober pour vivre sa vie de son côté ! Cette relation ambiguë se retrouve également dans le rapport que les Japonais ont historiquement avec les chats. On ignore précisément quand ces animaux sont arrivés sur l’archipel nippon, mais on estime qu’ils ont été importés du continent asiatique entre les époques Nara (710–794) et Heian (794‑1185). Ils étaient alors très rares, et réservés à la noblesse, qui en raffolait.

chat 1
Durant l’ère Heian, les chats étaient
prisés par l’aristocratie.

Avec le temps, les chats se sont démocratisés et se sont intégrés au folklore, sous deux formes différentes. La première, positive, vient du fait qu’ils protégeaient les récoltes de riz en mangeant les souris et les rats : il s’agit du manekineko. Tu connais probablement sa statue qu’on voit dans les vitrines de boutiques, en train de lever la patte gauche pour attirer la clientèle, ou la droite pour attirer la fortune. En revanche, comme les chats mangeaient parfois des animaux morts, une autre déclinaison fantastique et terrifiante s’est développée : le bakeneko. Ce chat malin, capable de se transformer en humain, essaye de dévorer son maître pour prendre sa place !

bakeneko
Le bakeneko a inspiré beaucoup d’estampes angoissantes, comme celle-ci signée Kunisada Utagawa !

Le savais tu ?
L’île Tashirojima, est surnommée « île aux chats » puisqu’elle compte plus de chats en liberté que d’humains ! Un paradis à visiter à tout prix si tu aimes les matous et les bandes dessinées japonaises, puisqu’on y trouve aussi le camping « Manga Island », dont les bungalows en forme de chat ont été dessinés par des mangakas !

tashirojima
Un aperçu du comité d’accueil de l’île Tashirojima !

Du chat chimère…

Ces deux aïeuls surnaturels ont engendré une flopée de descendants énigmatiques, dont on n’arrive pas à cerner s’ils sont gentils ou s’il faut s’en méfier. Le chat-bus de Mon voisin Totoro (disponible actuellement sur Netflix) a beau aider les petites filles, il inquiète avec ses yeux écarquillés ; tandis que Miaouss (inspiré du manekineko) semble sympathique, même s’il travaille pour la Team Rocket ennemie du héros de Pokémon !

C’est également via le chat que le fantastique vient s’immiscer dans notre monde bien réel, qu’il s’agisse de Luna qui révèle ses pouvoirs à l’héroïne de Sailor Moon, Madara, alias Maître Griffou, qui guide et protège Natsume dans sa quête des créatures surnaturelles du Pacte des yôkai, ou encore du chat de Flow qui détecte pour ses maîtres les failles où s’insinuent des phénomènes paranormaux.

Certains auteurs poussent alors le curseur un peu plus loin en flirtant avec le cinéma de genre. Si Walking cat (pour les plus grands) fonctionne comme un film de morts-vivants à travers les yeux d’un chat, Nyaight of the living cats pastiche le genre allègrement en transposant les zombies en félins ! De même, Cotton Valent détourne les codes horrifiques autour du chat noir dans son hilarant Creepy Cat.

Enfin, Hiroyuki Takei choisit la figure du chat errant pour en faire un épéiste redoutable dans le Japon féodal avec Nekogahara, digne d’un film en costumes.

yokay nekogahara

… au chat de gouttière

Les chats errants sont en effet légion au Japon : on en dénombre pas moins de 60 000 rien que sur Tokyo ! Et quand on passe sa vie dans les rues, il faut être prêt à la bagarre pour s’imposer, comme le héros de Street fighting cat de SP Nakatema, qui va grimper les échelons à la force de ses griffes. Le parrain déchu de Miaou ! Big-Boss le magnifique, pour sa part, met sa puissance au service des plus faibles dans une démarche inverse. On comprend mieux pourquoi Natsuki Takaya a fait de Kyô un mauvais garçon dans Fruits Basket, lui qui incarne le chat ! Tous les chats de gouttière ne sont pas pour autant d’affreux loubards, à l’exemple du minou de Colocataires à leur manière : son comportement bien particulier fait germer les idées d’un romancier en panne d’inspiration !

voie du tablier

Et qui, au Japon, fait régner sa loi dans les rues des grandes villes en usant parfois de la violence, traîne une mauvaise réputation mais fascine et inspire de nombreuses œuvres de fiction ? Hé oui, le yakuza ! Il peut être aussi bien un affreux voyou prêt à tout pour grappiller de l’argent qu’un gardien qui protège les commerces de son quartier des attaques de clans voisins. Le parallèle entre les groupes de délinquants et les gangs de chat est donc évident, comme dans l’hilarant Nyankees d’Atsuhi Okada.

Mais certains mangakas poussent l’idée encore plus loin, à l’image de Riddle Kamimura ! Avec Chat de yakuza, il nous fait suivre Sabu, un chaton abandonné grelottant sous la pluie et sauvé par… un yakuza. Les réactions du petit animal face à la dégaine et à la réputation de son nouveau maître sont à hurler de rire, et le manga une excellente introduction au monde de la pègre nippone. Une atmosphère qui n’est pas sans rappeler La voie du tablier, de Kôsuke Oono où, là encore, un matou tient un rôle non négligeable.

La voix de son maître

Si Chat de yakuza joue avec les codes du « chat mafieux », il participe également au genre le plus répandu des mangas de félins, ceux qui mettent en scène les interactions entre les matous et leurs propriétaires. Cette relation connaît de multiples facettes, même si le plus souvent, c’est l’amour qui domine, comme dans Le chat qui rendait l’homme heureux, et inversement d’Umi Sakurai, où un matou miteux qui redonne le sourire à un pianiste veuf. De même, Elle et son chat, adapté en manga par Tsubasa Yamaguchi, reprend le concept du premier court métrage de Makoto Shinkai, réalisateur de Your Name et Suzume : un chat raconte de son point de vue l’amour fou qu’il partage pour sa maîtresse.

Journal des chats

Cet amour s’affranchit d’ailleurs de toute distinction d’âge, de sexe ou de classe sociale. Konami Kanata l’a bien compris, puisqu’elle met en scène les interactions d’un chat avec des enfants dans Chi, une vie de chat et avec une adorable mamie dans Choubi-Choubi, mon chat pour la vie ! Un maître du manga d’horreur, pour sa part, choisit de parler de son adoration à sens unique envers ses matous, qui n’ont d’yeux que pour leur maîtresse dans l’hilarant Journal des chats de Junji Itô – un des rares titres de sa bibliographie accessible, et recommandé, au jeune public.

En effet, s’occuper d’un chat, c’est toute une aventure ! On a parfois du mal à comprendre son comportement d’animal encore un peu sauvage, mais quel bonheur quand on le sent ronronner contre soi, comme l’héroïne de La gameuse et son chat. Et comment ne pas reconnaître sa propre expérience dans les mangas humoristiques traitant des relations maître/ chat, comme Nights with a cat de Kyuryu Z ?

Le chat vedette

Enfin… quand on dit « maître », il faudrait plutôt dire « propriétaire » ! Le plus souvent, c’est l’humain qui est au service du chat, comme le rappelle Akihiro Kimura avec Sa majesté le chat – il est bien placé pour le savoir avec cinq matous à la maison ! Là encore, cependant, certains auteurs tordent le cou à ce cliché en l’inversant, tel Hitsuji Yamada avec Mon chat à tout faire est encore déprimé.

Rien d’étonnant, donc, à ce que le Japon ait créé plusieurs icônes pop-culturelles félines, connues de plusieurs générations. Ainsi, Doraemon est le héros d’une série animée diffusée sans interruption depuis 1979, avec en bonus un film annuel qui en fait la licence cinéma la plus lucrative du Japon. Cependant, ce n’est pas un chat mais une chatte qui domine le monde depuis le Japon et depuis cinquante ans : Hello Kitty ! Plus que jamais, les chats ont posé leur griffe sur la culture manga !

un chat

Le savais tu ?
Paru en 1905, Je suis un chat de Natsume Sôseki est un des plus célèbres romans japonais. Un chat raconte à la première personne, tel un chroniqueur, l’univers qui entoure le professeur d’anglais qui l’a recueilli. Presque tous les élèves l’ont étudié, et connaissent ses premières phrases. Pas étonnant, donc, que beaucoup de mangas développent ce même thème !

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